Anamaria Vartolomei
Vivre et jouer, le cœur entre deux mondes






Octobre 2025
C’est au cinéma que j’ai découvert Anamaria Vartolomei pour la première fois, en 2017. Elle jouait dans le film historique "L’Échange des princesses", où elle interprétait le rôle de Louise-Élisabeth, l’une des deux princesses échangées entre la monarchie française et celle d’Espagne pour consolider la paix après la guerre de Succession d’Espagne. J’ai été impressionnée par le jeu de cette jeune femme de 17 ans : sa capacité à exprimer, au début du film, le caractère libre, indocile, déterminé et digne de la princesse qui refuse cette décision politique entre États, puis à incarner l’émotion des sentiments naissants — malgré elle — pour Don Luis, ce prince qu’on lui avait imposé, et enfin les tourments qui lui ont provoqué sa mort prématurée. Une large palette d’émotions qui révélait déjà un talent d’interprétation.
J’ignorais alors que cette jeune actrice était roumaine, et grande fut ma surprise de la reconnaître quelques semaines plus tard parmi les paroissiens de l’Église orthodoxe roumaine. La même aura, le même magnétisme, malgré la discrétion de sa présence dans ce cadre intime, lié à ses racines roumaines. Deux facettes indissociables de cette jeune actrice : un cœur bien ancré entre deux mondes.
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Anamaria Vartolomei est née le 9 avril 1999 à Bacău, en Roumanie. Elle arrive en France à l’âge de six ans pour rejoindre ses parents, installés depuis quelques années déjà à la recherche d’une vie meilleure. Elle débute très jeune, à seulement dix ans et demi, dans "My Little Princess" (2011) d’Eva Ionesco, aux côtés d’Isabelle Huppert. Ce premier rôle, salué par la critique, lui vaut une nomination au Prix Lumières du meilleur espoir féminin, révélant immédiatement la force de son jeu.
La consécration arrive en 2021 avec "L’Événement" d’Audrey Diwan, adaptation du roman autobiographique éponyme d’Annie Ernaux, Prix Nobel de littérature. Anamaria Vartolomei y incarne une étudiante confrontée à un avortement clandestin dans la France des années 1960. Sa performance, bouleversante et habitée, lui permet de remporter, entre autres, le César de la meilleure actrice (2022) et le Prix Lumières de la meilleure actrice. Lauréat du Lion d’or à la Mostra de Venise, le film lui offre également l’occasion de rencontrer Bong Joon-ho, président du jury, qui lui propose un rôle dans "Mickey 17" (2024) : ce sera sa première apparition dans un film anglophone, aux côtés de Robert Pattinson et Steven Yeun. La jeune actrice franco-roumaine enchaîne ensuite des projets ambitieux : Le Comte de Monte-Cristo (2024), Maria (2024), L’Intérêt d’Adam (2025) ou Traffic (écrit par Cristian Mungiu et dirigé par Teodora Mihai), sa première participation à un film en langue roumaine.
Bilingue, audacieuse et engagée, Anamaria Vartolomei apparaît aujourd’hui comme l’un des visages les plus prometteurs du cinéma contemporain. Elle incarne une nouvelle génération d’actrices qui refusent les stéréotypes et repoussent les frontières entre cinéma d’auteur et cinéma international.
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Irina E.V.: Anamaria Vartolomei, vous avez déjà tourné dans 17 films, si mes comptes sont bons. Une carrière déjà bien remplie pour une jeune actrice. Pouvez-vous nous raconter le début de votre l’aventure cinématographique ?
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Anamaria V.: Mon école primaire proposait des activités extra-scolaires dont théâtre/poésie et mise-en-scène. J’ai suivi une amie qui s’y était inscrite et de là est né mon goût pour le jeu. J’ai tellement aimé ça que j’ai demandé à mes parents de m’inscrire dans un cours de théâtre les mercredis en dehors de l’école. En parallèle, mon père (entrepreneur dans le bâtiment) travaillait chez une comédienne. Elle lui a recommandé un site de castings et c’est comme ça qu’on est tombés sur l’annonce du film d’Eva Ionesco - "My Little Princess".
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I.E.V: Votre premier film à l’âge de 12 ans : mais quand avez-vous su que votre vie allait se confondre avec le cinéma ? Y a-t-il eu une expérience, un moment déclencheur ?
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Je dirai que c’est à la fin du tournage de "My Little Princess" que j’ai eu une révélation. J’ai immédiatement eu envie de recommencer.
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I.E.V: Comment choisissez-vous vos films ? Selon des thématiques particulières ou certaines valeurs ?
C’est un cocktail. Je prends évidemment en compte mon désir de défendre le personnage en question, ma passion pour le récit raconté et enfin (et pas des moindres), mon entente avec celui ou celle qui me dirigera. C’est primordial pour moi de me sentir en terrain de confiance pour donner le plus possible.
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I.E.V: Vous avez tourné dans des drames tels "My Little Princess", "L’événement", "L’intérêt d’Adam", des films historiques ("L’échange des princesses", "Le Comte de Monte Cristo"), des comédies sociales ("La Bonne épouse") ou des films de science-fiction ("Mickey 17"). Y a-t-il un genre dans lequel vous êtes le plus à l’aise ?
Je les aime tous. Je suis très heureuse d’avoir eu l’occasion d’en expérimenter quelques uns. Reste désormais la comédie pure ou musicale haha (à bon entendeur) !
I.E.V: Quelle a été le rôle le plus complexe dans votre expérience d’actrice et pourquoi?
Plusieurs. Pour des raisons différentes. Mais me vient tout de suite en tête Maria Schneider dans "Maria", de Jessica Palud. C’était une femme blessée, très énigmatique. Elle aura passé sa vie à fuir le regard des autres, se réfugiant dans la drogue pour se créer un monde à elle, une bulle impénétrable. J’ai eu du mal à trouver des archives afin de la comprendre. L’incarner a été une épreuve assez difficile car elle représentait un mystère pour moi. C’est toujours le cas d’ailleurs.
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I.E.V: Votre film "Traffic" écrit par Cristian Mungiu et dirigé par Teodora Mihai, qui va sortir cet automne en France, est votre première expérience de travail avec le cinéma roumain. De quoi traite-il et comment a été cette expérience ?
"Traffic" traite, avec une dure réalité, l’exploitation des travailleurs immigrés, la notion de survie et du choc de cultures. L’Est VS l’Ouest. J’ai beaucoup aimé cette expérience. J’appréhendais car c’était mon premier tournage en langue roumaine mais sous la direction d’Ana Teodora Mihai et le regard avisé de Cristian Mungiu, je ne pouvais que me sentir entre de bonnes mains.
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I.E.V: Le spectateur roumain qui regarde pour la première fois "Le Comte de Monte-Cristo" est surpris d’entendre le personnage d’Haydée que vous interprétez parler roumain sachant que dans le roman d’Alexandre Dumas elle s’exprime en grec et en italien. Comment ce changement par rapport au texte d’origine s’est-il opéré ?
Les réalisateurs ont longtemps cherché une fille aux origines du livre mais ils n’arrivaient pas à trouver la Haydée qu’ils imaginaient. Alors ils m’ont proposé le rôle et étant roumaine, ils ont adapté la langue du personnage à la mienne.
I.E.V: Quelle place occupe le roumain (la langue, la culture, la vie sociale) dans le quotidien d’Anamaria Vartolomei ? La spiritualité est une composante essentielle du peuple roumain et de la communauté roumaine en France. Quelle place a-t-elle dans votre vie ?
On parle roumain à la maison. Mes parents ont tenu à ce qu’on préserve cet héritage linguistique pour le transmettre à mon frère à sa naissance en France, en 2005. Je trouve que c’est essentiel et précieux. Il a permis le contact, l’échange avec les grands-parents et la famille restée en Roumanie. Je dirai que la place que le roumain occupe dans ma vie est très intime. Il est à la fois lié à la famille mais également à la religion. Je prie en roumain, je vais à la messe en roumain… Le roumain est peut-être finalement le socle solide qui maintient la base de qui je suis.
I.E.V: Dans votre personnalité et dans votre vision du monde, identifiez-vous des valeurs et des influences propres à chacune des deux cultures qui vous constituent ?
On m’a souvent posé la question de qu’est-ce qu’il y a de roumain en moi ? Qu’est-ce qu’il reste de roumain en moi ? J’ai l’impression qu’en tant qu’immigrés, nous vivons avec le sentiment que nous ne sommes jamais tout à fait à notre place. Le sentiment de devoir faire ses preuves, prouver à ceux qui nous font confiance (majoritairement dans le travail) que nous sommes à la hauteur. Et ça passe par l’acharnement au travail, l’investissement de soi. Je pense que la notion de méritocratie est ce qu’il y a de plus roumain en moi.
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I.E.V: Vous êtes une des égéries de la Maison Chanel. Mais en plus de la représenter sur le tapis rouge, vous avez également participé aux "Rendez-vous littéraires rue Cambon" organisés par Charlotte Casiraghi où des femmes invitées provenant du monde de la culture partagent leurs lectures et leur vision sur la littérature. Quels sont les livres ou les auteurs qui vous ont le plus marquée ?
J’aime beaucoup Leïla Slimani qui parle très bien de l’exil, de l’appartenance et de cette dualité (ou complémentarité) entre les deux origines/cultures. Ses récits sont d’une grande richesse et elle arrive à poser des mots sur des ressentis parfois non exprimés.
I.E.V: Vous avez joué dans des adaptations cinématographiques de plusieurs romans : "L’événement" d’Annie Ernaux, "Le Comte de Monte-Cristo" d’Alexandre Dumas et vous êtes en train de tourner actuellement dans la série "Merteuil" inspirée librement des "Liaisons dangereuses" de Laclos. Y a-t-il un livre que vous voudriez voir porté à l’écran et quel personnage souhaiteriez-vous y incarner ?
Mon rêve d’actrice est d’incarner Anna Karénine mais il a été déjà adapté à l’écran !
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I.E.V: Vous avez 26 ans. Si vous deviez rencontrer votre moi d’il y a 20 ans, que diriez-vous à cette petite fille ?
Je lui dirais de s’amuser et d’y croire. Je pense que la confiance en soi est primordiale pour le développent d’un enfant. Elle donne plus de vie à l’imaginaire, à la créativité, aussi plus de malice.
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I.E.V: Et en regardant, à présent, vers le futur comment vous voyez-vous dans 20 ans ?
J’ai longtemps essayé de garder le contrôle sur les choses mais seul Dieu sait de quoi demain sera fait. Alors je me laisse porter… J’espère seulement que je serai encore sur les plateaux de cinéma et que j’aurai croisé la route de celles et ceux qui m’inspirent et avec qui je rêvais de partager l’écran.
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I.E.V: Avant de conclure notre dialogue, je vous invite à « participer » indirectement à l’application crée par CelebRO. Elle invite à la découverte des lieux où des personnalités franco-roumaines ont bâti leur vie et leur carrière à Paris. Pourriez-vous tracer le trajet d’Anamaria Vartolomei à partir de quelques points correspondant à certaines étapes ou lieux habituels qui la définissent ?
Je pense que le quartier latin est un point d’ancrage émotionnel et culturel assez fort pour moi. J’y ai habité étant petite et désormais ce sont les cinémas indépendants comme "Le Champo", "La Filmothèque" ou "l’Action Christine" qui me ramènent à cet arrondissement dans lequel j’ai vécu autrefois. Mon église de cœur, celle des Saints-Archanges y est également située.
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Interview réalisée le 21 septembre 2025 par Irina Enache Vic
Chercheuse en Lettres
Doctorante Sorbonne Université
Associations : Arche Culturelle et Cosmose Club
Projet financé par le Département pour les Roumains de Partout (mai – octobre 2025)
Le contenu de ce matériel ne reflète pas la position officielle du Département pour les Roumains de Partout
